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Jacques Martin et la Suisse
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Jacques Martin est né en septembre 1920 à Strasbourg. Après la guerre, il travaille pendant 30 ans avec Hergé, devenant son ami et collaborateur principal. Il crée plusieurs personnages tels qu'Alix, Lefranc ou Jhen, qui lui valent un énorme succès. Jacques Martin est à l'heure actuelle le maître incontesté de la bande dessinée historique, alliant une connaissance encyclopédique de l'Antiquité méditérranéenne à une maîtrise du dessin qui l'inscrivent dans la filiation des grands fresquistes de la Renaissance.

Interview réalisée le lundi 28 septembre 1998 à Lausanne.

Monsieur Martin, vous habitez en Suisse depuis 1984, pourquoi avez-vous décidé de quitter la Belgique?
Parce qu’à la mort d’Hergé en 1983, je me suis demandé ce que je faisais encore en Belgique. J’étais venu pour trois semaines, j’y suis resté 35 ans. Alors je me suis posé des questions, je me suis demandé ce que je faisais là. J’avais toujours eu l’idée, en arrière pensée, de partir de Belgique, lorsque j’aurais fini ma période hérgéenne, disons…

A part le climat qu’est-ce qui vous déplaisait en Belgique ?
Le climat principalement comme je vous l’ai dit, et puis l’ambiance générale commençait à me peser parce que c’est un pays qui est tout de même à la dérive depuis pas mal de temps. Ce que beaucoup de gens ignorent, c’est que la Belgique a été un pays riche, grâce au Congo belge. A partir du jour où le Congo belge a repris son indépendance, une grosse part des revenus de la Belgique ont été supprimés. Ca s’est passé dans les années 60. Dans les années qui ont suivi, la Belgique s’en est plus ou moins sortie, mais quand la crise est arrivée, les homme politique belges l’ont mal gérée. Ils n’ont pas cru à la crise et ont continués à vivre comme si de rien était, en espérant, que la reprise serait immédiate. La reprise n’étant jamais arrivée, la Belgique a accumulé, ou plutôt les gouvernements belges ont accumulé une quantité faramineuse de dette. On parle de 13’000 milliards de francs belges de dette extérieure, rendez vous compte ! Si bien que l’imposition belge est devenue tellement féroce, arbitraire et abusive, qu’il n’est plus possible pour un indépendant qui commence à profiter de son travail, de poursuivre une carrière en Belgique.

Quel était votre taux d’imposition en Belgique au moment ou vous êtes parti ?
J’ai payé jusqu’à 92% ! Comprenez vous, la Belgique a un système assez pour les indépendants, qui vous oblige à prévoir les accomptes trimestriels ou mensuels que vous devez payer au fisc. Mais un indépendant qui ne sait pas combien il va gagner dans l’année, surtout un auteur, on ne sait jamais s’il va vous tomber x milliers de francs de plus ou x milliers de francs de moins, c’est impossible à prévoir à l’avance, donc il est très difficile de faire des prévisions exactes. Alors qu’est-ce qu’on fait ? On se base généralement sur les annés précédentes et on paie des accomptes à l’Etat à l’état belge selon les résultats de l’année précédente. Et puis si l’on tombe faux, comme cela a été mon cas, l’on reçoit une amende de 26%, plus 15% d’impôts supplémentaires, ce qui fait 41%, ce qui devient vraiment abusif!

Quelles sont pour vous les différences dans vos relations avec le fisc suisse et avec le fisc belge ?
J’avais de trés mauvaises relations avec le fisc bege et j’ai de très bonnes relations avec le fisc suisse. Les Suisses ne sont pas ennuyeux, ne sont pas tracassiers, on sent bien que la différence de mentalité est énorme de ce point de vue là. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu’en Belgique il y a des tracasseries administratives permanentes, qu’ils ne savent plus où trouver l’argent, et que ça devient complètement débile, c’est le cas de le dire ! Je pourrais citer des montagnes d’exemples de confrères qui ont eu des ennuis effrayants Il y en a même un qui s’est pratiquement laissé mourir, parce qu’il ne savait plus payer ses impôts. Ce sont des choses qui arrivent dans des pays comme ça. Je ne parle pas du salarié, je parle de l’indépendant ! Et je remarque que la plupart des indépendant qui peuvent partir du pays, partent. D’ailleurs quand j’avais menacé un agent du fisc de partir, il m’avait dit. «Oui, oui ... vous dites cela, mais vous ne le ferez jamais !» Et bien il s’est lourdement trompé parce que je l’ai fait.

Quelles étaient les alternatives à la Suisse?
Je voulais tout d’abord partir aux Etats-Unis, et ma famille m’a dit : «Non, les Etats-Unis, la langue et tout ça… Et on ne connaît personne» Et ma femme m’a dit : «Pourquoi n’irais-tu pas plutôt en Suisse, puisque tu es aussi d’origine suisse, étant donné que ta grand-mère était Suissesse et que tu as aussi des cousins, etc, etc... ?» Et je me suis dit : «Oui, oui, pourquoi pas ?» Elle m’a dit : «C'est pas mal, il y a un aéroport central, tu peux aller où tu veux dans le monde en partant de la Suisse, et en même temps ça n'est plus Belgique avec son climat que tu n'aimes pas.» Bien sûr, j’aurais pu aller dans des pays beaucoup plus favorables que la Suisse fiscalement parlant, comme en Irlande où les auteurs ne paient pas d’impôts, ou aux Bahamas, ou même à Monaco. Je ne l’ai pas fait, car si je suis parti, ca n’est pas dans le but de ne plus payer d’impôts du tout, mais pour être moins stressé et vivre dans un climat et dans une ambiance meilleurs!

Comment s’est passée votre arrivée en Suisse?
Alors je suis arrivé en Suisse pour voir comment je pouvais y prendre résidence, et la personne qui me conseillait m’a expliqué comment c’était possible. Je suis allé me présenter à Berne avec un de mes livres et ça a très bien fonctionné ! (rires) Et j'ai reçu d'abord mon livret A. On m'a bien spécifié qu’un étranger ne pouvait pas obtenir comme ça, tout de suite, un livret (=permis) B ou C.

Quand avez vous acheté votre appartement?
J’ai d’abord loué un appartement parce que je n’ai pas pu acheter tout de suite à Lausanne même, parce que je voulais un appartement à Lausanne, et ce n’est que quelques années plus tard, j’ai dû attendre une période de quatre ou cinq ans, je ne me rapelle plus des dates, pour pouvoir m’acheter l’appartement que j’ai acheté à Lausanne.

Pourquoi Pully ?
Parce qu’à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de logements disponibles à l’achat, dans tout le canton de Vaud d’ailleurs, ce n’était pas spécifique à Lausanne. Et je me suis addressé à un spécialiste et il y avait, si j’ai bonne mémoire, deux ou trois possibilités, pas beaucoup plus…Il y en avait une ou deux à l’ouest de Lausanne et trois ou quatre à l’est. J’ai visité et j’ai acheté celui qui m’est apparu comme le plus intéressant. Alors j’ai acheté l’appartement et j’ai emménagé…et puis pour finir j’ai obtenu le permis C…

Quels sont les avantages principaux de la Suisse pour quelqu’un comme qui y vit ?
D’abord les impôts sont plus faibles, ça ne fait pas l’ombre d’un doute, et ensuite il n’y a pas de tracasseries fiscales et financières comme c’est le cas en Belgique. C’est clair, n’est-ce pas ? J’enfonce une porte ouverte en disant cela. Ensuite, évidemment, les mentalités sont très différentes. En Belgique, vous pouvez vous faire voler votre voiture à un feu rouge, vous pouvez vous faire voler votre voiture dans un parking, etc... Ce qui est tout de même, il faut le reconnaître, rarissime en Suisse. Moi, je connais des suisses qui laissent leur voiture ouverte, qui ne la ferment même pas à clé, c’est impensable pour un Belge. Il y beaucoup plus de tueries en Belgique , il y en a eu jusque sur des parkings de supermarché. Il y a beaucoup de choses comme ça là-bas. Il y beaucoup plus de vols et de délits qu’en Suisse, cela ne fait aucun doute, la tranquilité morale et mentale en Suisse est nettement supérieure.

Et les inconvénients?
Le revers de la médaille c’est qu’un Etat « à la Suisse » est à mon avis un peu plus strict, une police certainement plus sévère et moins laxiste qu’en Belgique. Moi, je ne réprouve pas cela, au contraire, j’approuve, parce que j’estime que dans ce contexte la, la population vit plus en sécurité. Il y a beaucoup plus de sécurité en Suisse à mon avis que nulle part ailleurs en Europe.

Que pensent vos amis français ou belges de la Suisse?
En général que du bien. La seule chose qui ne leur plaît pas beaucoup, c’est le traffic sur les routes suisses, qui est souvent ralenti parce qu’il y a des travaux partout, des travaux qui n’en finissent jamais et on se demande bien pourquoi. Par exemple l’autre jour entre Berne et Bâle, pour rouler en voiture, c’était la galère. L’autre chose qui déplait aux étrangers, il faut bien le savoir, c’est le coût de la vie. Visiter la Suisse, pour un étranger est relativement coûteux. Pas quand on y vit, car quand on y vit le système est complètement différent, parce que si l’on paie peut-être l’alimentation plus cher, en revanche, la fiscalité étant beaucoup plus avantageuse et le jeux en vaut la chandelle! Mais pour le touriste, c’est beaucoup plus cher que la France ou que la Belgique.

Alors les touristes feraient mieux de rester en Suisse?
Tout à fait !

Je crois que vous respectez méticuleusement la règle des 180 jours de résidence effective en Suisse, pour quelles raisons ?
Je la respecte, sans chercher à la respecter. Je me plais beaucoup en Suisse et j’y passe beaucoup plus que six mois par ans, parce que j’ai un appartement confortable et agréable et que je n’ai pas besoin d’être tout le temps à tel ou tel endroit. En réalité, je ne calcule pas, mais je me rend compte que je passe plus de six mois par an en Suisse. J’aime bien, le climat est quand même beaucoup plus favorable qu’en Belgique. L’ambiance est plus agréable, pour moi en tout cas, ça c’est un fait. Il ne faut pas me forcer à venir en Suisse!

Que pensez-vous des transports en Suisse?
L’intérêt de la Suisse je le répète est une certaine rigueur, les trains arrivent à l’heure, les trains partent à l’heure, ce qui n’est pas toujours le cas de la France et de la Belgique. Par exemple, je peux vous dire, en Belgique, j’ai une maison pas loins de la ville d’Ottigny, et bien entre Ottigny et Bruxelles, il y a 25 kilomètres et parfois les trains ont une demi heure de retard. Ça ne commence pas bien, si en partant de Bruxelles, en arrivant à Ottigny le train a une demi heure de retard! C’est impensable en Suisse, ça. Je n’ai jamais vu ça, ou bien alors c’est exceptionnel. Deuxièmement, il y a une rigueur dans les transports en Suisse et il n’y pas de grèves non plus. Vous n’avez jamais la surprise en Suisse d’avoir subitement une grève des postiers, des chemins de fer ou une grève des agents de l’état. C’est rarissime, et on ne peut pas dire que ce soit le cas en France ou en Belgique.

Si vous deviez résumer la Suisse en trois mots, quels seraient ces mots ?
Confort, rigueur et ordre.

Monsieur Martin, je vous remercie.
Mais je vous en prie.


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