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La tribu des Français de Suisse
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Le Point, 20 juin 2003
Jean Lalande

<<François Micheloud, polyglotte, moins de 30 ans, est déjà l'un des meilleurs « chasseurs de riches » du pays. Depuis ses locaux, installés à Lausanne en face du Lausanne Palace, il livre la Suisse clés en main : permis de séjour, maison, inscription pour les enfants dans une école privée réputée, et jusqu'à l'importation de la voiture.>>

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«Et un botte-cul, en avez-vous tâté ? » A la seule évocation de ce mot, Fabrice, l'ancien animateur de la télévision française, éclate de rire. Non, il ne sait pas qu'il s'agit d'un tabouret à un pied utilisé pour traire les vaches. Il ignore tout autant qu'un « bredzon » est une veste à courtes manches bouffantes encore portée dans le canton de Fribourg. Jeune retraité de 61 ans, l'ancien animateur de « La classe », sur France 3, vient de s'établir avec sa femme et sa fille près de Lausanne. Il a accepté de répondre au jeu du « Passeport suisse » dans un quotidien local. Un questionnaire sur les expressions caractéristiques du français de Suisse romande.

Etonnant Fabrice, car l'immense majorité des beautiful Français de Suisse cultive une discrétion quasi maladive. Tous ont peur d'être traités d'« émigrés fiscaux ». Pourtant, la communauté française (130 000 à 150 000 personnes) en Suisse est l'une des plus importantes du monde. Et l'immense majorité des « frouzes », comme les surnomment parfois les Suisses francophones, jurent qu'ils ne sont pas là pour des histoires de gros sous. Ainsi Isabelle Adjani, arrivée dans la cité de Calvin en 1996. Son avocat explique que la vedette de « L'été meurtrier », qui n'a pas travaillé pendant plusieurs années, « a continué à régler en Suisse ses impôts sur la base d'un forfait. Or, si elle était demeurée en France, elle n'aurait pas payé 1 centime d'impôt, faute de revenus ». L'actrice a bien précisé qu'elle ne cherchait qu'à « offrir à ses enfants une meilleure qualité de vie ».

« Pour vivre heureux, vivons caché. » François Laumonier, le consul général de France à Genève, confirme l'extrême discrétion de ses compatriotes. « Un matin, j'ai découvert Charles Aznavour qui attendait tranquillement son tour au consulat. Il a refusé la moindre faveur, rappelant qu'il était un citoyen comme un autre », constate le diplomate. Les hommes d'affaires français retirés dans la Confédération évitent aussi d'attirer l'attention. Ils n'accordent pas d'interview à la presse locale. Seul le mensuel économique Bilan, réputé pour son sérieux, publie leur photo et une estimation de leur patrimoine dans son classement annuel des 300 fortunes de la Confédération. La grande majorité réside à Genève, comme Thierry Defforey, actionnaire de Carrefour, François Dalle, l'ancien patron de L'Oréal, Roger Zannier, le roi du vêtement pour enfants, le jeune retraité Daniel Hechter et le producteur d'AB Claude Berda. Ou encore la famille Lescure (électroménager), Jean-Louis David (coiffure), Michèle Bleustein-Blanchet, fille du fondateur de Publicis, et Corinne Bouygues, fille de Francis. Dernière arrivée en date : la championne de tennis Amélie Mauresmo. Paul-Georges Despature (Damart), lui, a choisi le canton voisin de Vaud.

Discrétion, c'est bien le maître mot qui s'applique aussi à l'ancien banquier Jean-Pierre François, ami d'adolescence de Roland Dumas, ancien patron de la Banque romande et ancien conseiller de François Mitterrand, installé à Genève depuis 1945. « L'ami banquier », comme le surnomme un ouvrage qui lui a été consacré, a longtemps été présenté par l'extrême droite française comme le gestionnaire occulte de la fortune cachée de François Mitterrand, sans que la moindre preuve en ait jamais été apportée. Jean-Pierre François, toujours actif à 80 ans, tient à bout de bras depuis des années Le Journal français, une publication tirée à 50 000 exemplaires et distribuée gratuitement. Le financier est installé place du Bourg-de-Four, au coeur de la vieille ville de Genève, à deux pas du palais de justice. Sa fortune est estimée à 100 millions d'euros, même si l'ex-banquier ne figure pas dans « les 300 » de Bilan.

Un autre Français haut en couleur apparaît en revanche en bonne place dans le classement. Il s'agit d'André Guelfi, 84 ans, dit « Dédé la Sardine », en attente de jugement dans l'affaire Elf. L'intéressé dément pourtant résider dans la Confédération. « Pour moi, la Suisse, c'était le secret bancaire. Quand la justice helvétique a transmis tous mes comptes à la France, j'ai aussitôt renvoyé mon permis de résident permanent », raconte l'ancien coureur automobile. Installé pendant un quart de siècle à Lausanne, André Guelfi prétend vivre depuis 1997 à Malte. Toutefois, quand il nous a reçu chez son avocat à Paris, il a reconnu séjourner encore très fréquemment en Suisse. A Lausanne, où habite son conseiller fiscal, et à Crans Montana, pour rencontrer des hommes d'affaires russes. André Guelfi, un cas à part...

Etre installé en Suisse ne préjuge en rien du statut dont le résident bénéficie. Marie Laforêt et Alain Delon, installés tous deux à Genève depuis 1978, ont obtenu la nationalité suisse. Mais la situation des autres « émigrés » célèbres est loin d'être aussi claire. Ils ne sont d'ailleurs pas très loquaces sur le sujet et répondent évasivement aux mails que nous leur avons envoyés. Pas facile, d'ailleurs, de s'y retrouver dans le maquis des statuts offerts aux étrangers. En tout cas, les grandes fortunes ne s'intéressent pas au permis « L » (autorisation de travailler de 120 jours par an) ou au « G » (pour les frontaliers), pas même au « B » (valable une année). Ce qu'ils veulent, c'est le plus prestigieux, le permis « C », de résident permanent. Alfred Sirven, acteur principal de l'affaire Elf, l'avait obtenu en 1997, alors qu'il faisait déjà l'objet d'un mandat d'arrêt international. L'ex-patron d'Elf Aquitaine International habitait à Genève, dans un bâtiment voisin du Noga Hilton, le plus grand palace de Suisse. A quelques pas de là, dans un immeuble cossu du quai Wilson, donnant sur le lac Léman, réside un autre heureux bénéficiaire du permis « C », André Tarallo, l'ancien directeur des affaires africaines de la compagnie pétrolière Elf. Problème : un permis de résident ne met pas à l'abri d'un inspecteur du fisc français particulièrement sagace. En épluchant ses cartes de crédit, ses factures de téléphone et d'électricité, en interrogeant son facteur, un service des impôts à Paris s'était rendu compte qu'André Tarallo ne séjournait que trois mois par an sur les bords du lac, au lieu des six mois requis par la législation française. Adieu, belles ristournes.

Le jackpot du forfait fiscal

Cela n'enlève rien au permis « C ». Le « must des musts » pour les gros revenus, c'est quand il s'accompagne d'un « forfait fiscal ». La condition de base exigée pour le fameux forfait n'est pas insurmontable : il ne faut pas travailler dans la Confédération... « Les Suisses ont tout compris. Ils accueillent des gens qui peuvent dépenser chez eux, mais qui ne leur font pas de concurrence

sur le marché de l'emploi », explique Patrick Michaud, auteur en 1977 des « Relations fiscales franco-suisses », ouvrage depuis longtemps épuisé.

« Dans le canton de Vaud, le forfait se négocie sur la base de cinq fois le loyer annuel. Je connais une cantatrice très connue qui ne débourse pas plus de 20 000 euros d'impôts par an », explique l'avocat français Edouard Chambost, installé depuis treize ans près de Lausanne. Chemise et pantalon blancs, un petit cigare aux lèvres, l'auteur du « Guide Chambost des paradis fiscaux », traduit en neuf langues, dont le russe, reçoit sa riche clientèle internationale au Beau Rivage, un palace sur les bords du lac Léman. Un peu plus de 1 100 étrangers profitent dans le canton de Vaud de ce fameux « forfait fiscal ».

Ce cadeau s'explique par la taille de la Suisse : treize fois plus petite que l'Hexagone, et divisée entre vingt-six cantons et demi-cantons qui se livrent une concurrence acharnée pour s'attirer les bonnes grâces des nantis. Si les riches Allemands et Autrichiens affichent une préférence pour les cantons alémaniques de Lucerne, Schwyz, Zoug ou Zurich, il existe des exceptions. Le pilote Michael Schumacher est installé à Gland, dans le canton de Vaud. Propriétaire d'une luxueuse villa au milieu de 13 hectares sur les rives du lac Léman, payée 10 millions d'euros, le champion de formule 1 ne devrait pas débourser plus de 1,3 million d'euros d'impôts. Une aumône pour le pilote Ferrari, dont la fortune est estimée à près d'un demi-milliard d'euros. De rares Français ont choisi les cantons alémaniques. C'est le cas de Patricia Kaas, immigrée à Zurich, et de l'homme d'affaires Robert Louis-Dreyfus, patron de l'Olympique de Marseille.

« Le premier conseil que je donne à mes clients qui veulent quitter le pays est de couper le cordon avec la France, afin d'éviter à tout prix un double lieu de résidence », assure l'avocat parisien Patrick Michaud. Autrement dit, il ne faut pas, comme Alain Afflelou, faire des allers et retours entre la France et la Suisse. Présenté comme le symbole des « immigrés de première classe » par la presse suisse lors de son arrivée à Genève en avril 1998, le roi de la lunette a depuis retrouvé l'Hexagone.

Autre conseil prodigué par cet ancien inspecteur des impôts : séjourner quelque temps dans le pays étranger choisi avant de s'y établir définitivement pour savoir si on apprécie d'y vivre sans risque de se morfondre. Sinon, à quoi bon gagner quelques millions d'euros en impôt ? Et, de ce point de vue, la Suisse dispose de formidables atouts. Jean-Claude Killy, à Genève depuis 1969, juste après ses trois victoires aux Jeux olympiques de Grenoble, explique son choix par le caractère réservé des habitants. En Suisse, des stars comme Phil Collins ou Tina Turner peuvent vivre anonymement, sans craindre les débordements de fans un peu trop démonstratifs. Il n'est pas rare de croiser Yannick Noah, autrefois résident à Montreux, aujourd'hui à Genève, à la caisse d'une grande surface. « C'est un pays paisible et sûr, qui offre une qualité de vie rare où l'on respecte peut-être plus que partout ailleurs la vie privée », commente pour sa part Alain Prost, en Suisse depuis 1983. « On y mène une vie saine, équilibrée. A Genève, j'ai deux bons potes : Guy Forget et Cédric Pioline. On aime faire des balades à la montagne, faire de la moto ou du VTT », racontait David Hallyday en 2002 en annonçant son arrivée dans la cité de Calvin. Autre avantage pour les stars expatriées, une vingtaine de liaisons aériennes quotidiennes relient Genève à Paris. Et la plupart des grandes villes suisses, Zurich, Berne, Genève, Lausanne, et même Neuchâtel, sont desservies par le TGV. Même langue, proximité de la France, bonnes infrastructures, climat agréable, excellentes écoles... Et l'on ne parle même pas d'une médecine de tout premier ordre. Un point auquel nombre de Français fortunés sont très sensibles, car, lorsqu'ils quittent leur pays, ils sont souvent âgés. Beaucoup se réfugient de l'autre côté du Jura pour échapper à l'impôt sur la fortune après avoir vendu leur entreprise.

Contrairement à une idée reçue, le canton de Genève n'est pas le favori des millionnaires, c'est son voisin, l'ancien canton agricole de Vaud. La vie y est moins chère, l'offre immobilière plus fournie, les taxes encore plus légères. A Genève, aucun forfait fiscal n'est conclu à moins de 165 000 euros. Il n'y a que 550 étrangers qui bénéficient de cet avantage, pour un montant d'impôt évalué à quelque 40 millions d'euros. Vaud accueille le Suédois Ingvar Kamprad, 76 ans, le fondateur d'Ikea, l'homme le plus riche de Suisse (une fortune estimée à 10 milliards d'euros), mais aussi Athina Onassis (3,3 milliards), qui vient de fêter sa majorité.

Concurrence entre cantons

Les célébrités françaises se bousculent autour de Lausanne. A commencer par Maurice Béjart, installé dans la capitale vaudoise depuis 1987, où il a créé le Béjart Ballet Lausanne. Mais aussi l'écrivain Bernard Clavel, l'auteur de bandes dessinées Jacques Martin, le père d'Alix et autrefois proche collaborateur d'Hergé. Parmi les sportifs, Alain Prost et Jean Alesi, Nicolas Escudé ou Henri Leconte. Au Mont-Pèlerin, au-dessus de Lausanne, officie le Français Christian Cambuzat, le pape d'un centre de revitalisation très coté par les stars parisiennes, notamment de la télévision. Jean-Marie Le Pen vient souvent se retaper chez son ami Christian Cambuzat.

La concurrence entre cantons pour attirer les gros revenus est telle qu'il n'est plus besoin d'être un tycoon pour voir le tapis rouge se dérouler. Beaucoup de professions indépendantes (consultants, agents commerciaux...) s'installent. « Au niveau du sérieux, c'est souvent important d'être établi en Suisse », explique Laurence Bergen, dont la société BLD, dans le canton de Vaud, commercialisera des préservatifs en Italie. Des cantons moins connus se mettent sur les rangs pour attirer les personnes simplement aisées, comme le Tessin (italophone) et le Valais (francophone). Ce dernier propose son seulement le forfait fiscal, mais aussi la non-imposition des successions en ligne directe. De quoi séduire en peu de temps le Saoudien Ahmed Zaki Yamani, mais aussi 700 gros contribuables français, belges et néerlandais.

François Micheloud, polyglotte, moins de 30 ans, est déjà l'un des meilleurs « chasseurs de riches » du pays. Depuis ses locaux, installés à Lausanne en face du Lausanne Palace, il livre la Suisse clés en main : permis de séjour, maison, inscription pour les enfants dans une école privée réputée, et jusqu'à l'importation de la voiture. Son site Internet est une caverne d'Ali Baba. Il y brosse les avantages du compte à numéro, l'un des fantasmes des contribuables français. Il va jusqu'à offrir une protection supplémentaire en cas d'héritage ou de divorce. « Le plaignant doit lui-même identifier la banque où sont déposés les fonds avant que la justice ne donne suite à une plainte », explique François Micheloud. Considérations bassement matérielles, dira-t-on. Alors, Micheloud devient agent touristique : « Quand vous avez vécu toute votre vie dans une énorme agglomération, vous rêvez de campagne, de petites villes. Dans la région de Vevey-Montreux, baptisée "la Riviera", une villa avec vue sur le lac revient deux fois moins cher qu'à Genève... »

La Suisse, un cadeau...

Contrairement à une idée reçue, la pression fiscale est plutôt plus forte, pour les salariés, en Suisse qu'en France, bien qu'elle varie énormément d'un canton à l'autre.

A titre de comparaison, un couple marié avec deux enfants déclarant un revenu brut annuel de 70 000 euros paiera 8 540 euros d'impôts cantonaux et communaux à Neuchâtel. En revanche, le fisc ne lui prendra que 7 280 euros à Lausanne et à peine 3 400 euros dans le paradis fiscal de Zoug.

S'agissant des revenus, pour les immigrés français qui choisissent la Confédération, il existe pourtant un moyen radical de réduire leur impôt. C'est le fameux forfait fiscal. Celui-ci est particulièrement intéressant pour les artistes et les sportifs au début de leur gloire. Même si leurs revenus sont multipliés par cinq, dix ou vingt d'une année sur l'autre, ils débourseront toujours la même somme, fixée forfaitairement. Les grandes banques helvétiques, comme l'UBS et Credit Suisse, spécialisées dans la gestion de fortune, ont créé des services spécialisés pour les jeunes millionnaires aux professions aléatoires.

Pour le patrimoine, en revanche, pas de discussion, l'attrait de la Suisse reste intact, car la fiscalité, quand elle existe, est nettement plus douce qu'en France. La Suisse est faite pour les riches...

Les cantons alémaniques comme Zoug, Zurich, Nidwald, Schwyz, Saint-Gall, Appenzell-Rhodes-Intérieures sont en général les plus attractifs. Mais les Français, pour des raisons linguistiques, privilégient les cantons romands. Dans l'ordre, Vaud, Genève, Valais et Neuchâtel.

Les avantages suisses ? Pas ou peu d'impôt sur les plus-values, sur la fortune, sur les droits de succession. C'est ce qui attire notamment les industriels qui viennent de vendre leur entreprise.

De plus, le secret bancaire offre une protection supplémentaire en cas d'héritage et de divorce. Le plaignant doit lui-même identifier la banque où sont déposés les fonds avant que la justice ne donne suite à une plainte.


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